La signature de Pierre Marcolini chocolatier





Sébastien – Qu’est-ce que toi tu penses de toute cette amplitude et tout ce développement, cette communication sur les terroirs, les plantations, etc. ? Parce que là tu parles de ça. Toi, qu’est-ce que tu veux faire justement ?

Pierre Marcolini – D’abord, il y a eu une prise de conscience, on va revenir là-dessus. Je veux faire un chocolat signature pour être très clair. C’est un chocolat identitaire. Donc un de mes rêves c’est quand même, quand tu croques un carré de chocolat, tu dis : « Oui, ça c’est Marco. » C’est comme dans un vin. Quand tu goûtes un joli vin, tu dis « Ça c’est un Ribaud, ou bien ça c’est Yves Cuilleron ou c’est Villard ou C’est Didier Dagueneau. » On sent. Il y a une identité. On parlait justement de terroir et bien c’est ça l’expression d’une fève.

C’est vrai qu’évidemment quand je prends un cacaoyer quel qu’il soit, que ce soit un Criollo, un Forastero, un Trinitario ou d’autres. Ou un National Equateur, d’autres, que tu plantes à un autre endroit – évidemment dans cette ceinture du cacao – c’est évident que le terroir va s’exprimer. C’est évident que l’ensoleillement, que la « patte » du planteur en fonction de la manière dont il va fermenter etc., va influencer le cacao par rapport à ça. Et heureusement d’ailleurs, pourquoi se priver de ça ? C’est assez drôle parce que ça me rappelle une conférence. Je faisais une conférence et on m’a dit : « Est-ce que vous voulez nous montrer la vision du chocolat du 21ème siècle ? ». C’est intéressant, c’est vrai. En se disant, quel va être le chocolat en 2020, en 2030, en 2050. Et je suis arrivé avec une fève. Je crois sincèrement qu’aujourd’hui - si on veut faire une projection de cela – les artisans et leur manière de pouvoir s’exprimer, c’est de se réapproprier ce métier, d’oublier de partir avec de la couverture de cacao, de chocolat. Je ne parle pas de la qualité, je pense qu’aujourd’hui on a des couvertures de chocolat qui sont bien faites, que ce soit Barry Callebaut, Valgrenard et tout.

C’est un produit qui est bien fait. Mais je pense que ça ne correspond plus à ce qu’on peut offrir à nos clients. Le fait qu’aujourd’hui, on peut avoir accès à des fèves de cacao avec une identité, ça correspond plus à un message qui va vers l’artisanat, en se disant, mais tiens est-ce qu’aujourd’hui, au lieu de parler de pourcentage de cacao qui est aussi absurde – tu vois Sébastien c’est comme si tu me disais : « Pierre j’ai bu une très belle bouteille de vin qui était magnifique, c’était du rouge et c’était 12,5% d’alcool. On s’en fout. Moi ce qui m’intéresse c’est quel type de cépage. Et bien je pense qu’aujourd’hui on va commencer à comprendre que le cacao c’est ça. C’est, au lieu d’avoir des tablettes où il y a marqué pourcentage de cacao et un pays, on va avoir une tablette où il y aura marqué quel type de fève de cacao et là ça devient intéressant.

Tu vois, on est occupé aujourd’hui, il y a une espèce d’engouement sur le Chuao, par exemple, qui est une fève qui est un peu la Romanée-Conti de la fève de cacao. Pour donner une idée de prix, le cacao aujourd’hui se négocie, depuis 20 ans, – je fais une vraie moyenne – 2.500 dollars à 3.000 dollars la tonne, ça fait plus ou moins 20 ans. Aujourd’hui le Chuao, on est entre 10.000 et 14.000 dollars la tonne. Mais pourquoi pas ? Parce que moi ce que je vois derrière ce sont des planteurs qui se rémunèrent convenablement, une pérennisation d’une fève. Le fait effectivement qu’on peut avoir un dialogue avec ça. Moi je n’ai pas de problème. Je peux l’expliquer au client. Le fait que, après les fèves sont évidemment torréfiées en Belgique, avec une main d’œuvre belge qui est aussi chère qu’en France même un peu plus chère etc. Donc cela justifie le prix d’une tablette. À un moment donné de dire entre 5 et 10 euros une tablette. Qu’est-ce qui justifie ce prix ? Et bien il y a toutes ces composantes-là.

La pérennisation d’une fève de cacao, une plantation, une variété. La deuxième chose, des planteurs qui sont bien rémunérés et donc qui vont pérenniser ça. Les enfants qui vont se dire « pourquoi pas ? » etc. Et puis derrière, effectivement, le travail que nous, en tant que chocolatier, c’est-à-dire à partir de la torréfaction. La torréfaction pour moi c’est l’âme du chocolatier. C’est là où tu mets les curseurs. Prenons cet exemple justement du Chuao. Quand tu vois certains chocolatiers qui le font, c’est-à-dire qu’ils le font à partir de la fève – et là sans dénoncer quoi que ce soit – mais quand tu prends des gens comme Stéphane Bonnat, François Pralus qui le font, ou Domori – alors c’est contesté parce que ce n’est pas tout à fait le Chuao de, etc. mais il n’empêche. Moi ce dont je rêverais c’est que tu me dises : « Pierre, voilà, j’ai été goûter le Chuao qui a été fait par untel, par un tel et par un tel. » Un peu comme quand tu prends un Syrah qui est bien faite tu vois. Quand tu prends cinq vignerons, tu te dis que c’est marrant ; c’est intéressant de voir comment ils ont traité la vigne.

Et moi c’est ça que je rêverais d’avoir. C’est qu’à un moment donné on se dise, tiens voilà j’ai pris cinq chocolatiers, je serais intéressé de voir comment chacun a traité le Chuao, comment chacun a traité le National Equateur, comment chacun a traité un type de Forastero. Que ce soit un Trinitario par exemple qui vient du Vietnam, ça c’est intéressant aussi. Je crois que le chocolatier du XXIème siècle est l’artisan qui va repartir à partir de la fève de cacao – tout ce mouvement de beans-to-bar – et donc va pouvoir mettre en avant ce terroir et toute cette variété. Je pense que c’est ça le chocolatier du XXIème siècle.


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